Samedi soir, 22h30. Seize heures plus tôt, j’étais dans un Starbuck, au centre-ville de Toronto (voir le billet suivant). Cette fois, je suis dans un Tim Horton, au centre-ville de Kingston. 267 km au compteur. Après une bonne pizza à un coin de rue d’ici, j’ai décidé de faire un deuxième arrêt, pour me bombarder d’un café Moka... géant! Que j’emporte avec moi. Ce n’est pas que je sente la fatigue, l'arrivée à Kingston a eu un effet dynamite! Mais je suis réaliste : il y a une longue nuit devant, et je doute trouver grand-chose d’ouvert d’ici demain matin...
Tant qu’on est à Kingston, pas de raisons de se hâter : quiconque ferait un trajet aussi long d’une seule « shot », serait d’accord avec l’idée d'en profiter pour relaxer. Une demi-heure de plus, assis bien au chaud, aidera à retarder l’inévitable coup de barre.
C’est un départ! À moins d’un kilomètre de là, traversée du pont LaSalle Causeway, sur la rivière Cataraqui puis, 28 km jusqu’à la première étape, Gananoque. Aussitôt après avoir quitté le pont, une inquiétude : même avec ma lampe frontale, je ne vois pas très loin. Et s’il y avait des crevasses dans l’asphalte? Et puis, rapidement, les yeux s’habituent —on apprend étonnamment vite à départager les différents types d’ombres— et la tête reprend le dessus : des crevasses dans l’asphalte? Hey, t’es pas au Québec, ici!
À la sortie de Gananoque, il faut quitter la route 2 pour prendre la « 1000 Islands Parkway » : une route panoramique de 37 kilomètres qui longe le lac Ontario. Méfiez-vous, ça n’a pas l’air invitant quand on y entre en pleine nuit : jusqu’à ce que, 500 mètres plus loin, on distingue vaguement, à droite, les bâtiments d’accueil (fermés, quelle surprise) puis la piste cyclable (du côté gauche de la route).
1000 Islands Parkway : un parcours magnifique en pleine nuit, j’ose à peine imaginer ce que ça doit être en plein jour!
L’autre avantage, c’est que deux heures plus tard, de retour sur la route 2, tout le monde est couché! Plus besoin de se préoccuper de surveiller l’accotement, toute la route est à vous. Même si une voiture arrive, vous l’entendez de très loin!
C’est ainsi que je traverse les villages au galop : Brockville, Prescott, Johnstown, Cardinal, m’étonnant moi-même d’avoir autant d’énergie. Jusqu’à ce que je redoutais arrive : le coup de barre. Le VRAI : la tête qui descend vers la poitrine, les yeux qui se ferment une demi-seconde... La première fois, je refuse d’y croire : je suis en train de pédaler, penché sur un vélo, impossible de s’endormir! Et pourtant, oui, c'est possible. Je m’arrête donc sur le bord de la route.
Dilemme. Il y a des bungalows autour, pas vraiment l’endroit pour s’étendre sur le gazon sans attirer les soupçons. Mon Moka est depuis longtemps épuisé. En plus, il commence à faire froid: alors que le ciel commence à rosir, c’est le pire moment de la journée, où tout ce qui restait de la chaleur de la veille s’est dissipé.
Après quelques minutes à m’ébrouer, je repars, et heureusement, la ville suivante n’est pas loin. Iroquois. Un petit centre commercial, un resto... encore fermé, il n’est que 5 h 30! Je devine un parc, plus bas : bingo! Je m’assieds à une table à pique-nique, m’appuie la tête sur la main... en deux secondes, je suis parti!
Je suis sûr de n’avoir dormi que quelques minutes —il y avait une personne qui promenait son chien le long du fleuve, à l’horizon, elle y est toujours quand je rouvre les yeux. Mais curieusement, je me sens ragaillardi. Pas le moment des questions existentielles : Go!, car ce que j’espérais n’est plus très loin : après 10 km, voici un mini-Boulevard Taschereau. C’est Morrisburg... et son MacDo. Eh oui, je le confesse, j’ai mis les pieds dans un MacDo.
Morrisburg est pour les cyclistes montréalais qui se rendent en voiture à Cornwall, le point extrême à atteindre à vélo avant de rebrousser chemin. Ayant déjà fait ce parcours, je préfère cette fois éviter le détour —magnifique, pourtant— du parc des « Milles Roches » et foncer en ligne droite sur la route 2, jusqu’à Cornwall. Et une fois à Cornwall, même fierté que la veille à Kingston : 445 km au compteur, Wow! La dernière grande ville avant Montréal. Pendant un instant, j’ai l’impression d’être presque rendu.
Impression trompeuse, qui me conduit à contourner Cornwall plutôt que de passer par son centre-ville : après tout, j’ai déjà déjeuné, non? Grosse erreur : le déjeuner était peu consistant, et il est déjà loin. Je m’arrête dans un parc, et pour la première fois en plus de 27 heures, la fatigue me tombe dessus comme une tonne de briques.
Tous les cyclistes connaissent ça, c’est le moment où tout semble virer au noir. Je n’ai presque plus d’eau, donc c’est catastrophique. Le soleil est soudain plus chaud, donc c’est insupportable. Il me reste 130 km, donc c’est épouvantable.
Quelques kilomètres plus loin, juste avant de prendre la route de service Sud qui longera l’autoroute 401 jusqu’au Québec, je suis sauvé par un dépanneur. Grosse bouteille d’eau, palette de chocolat... Les batteries sont rechargées!
Le reste relève de la petite bière : chaque étape devient prétexte à se répéter : « je l’ai fait ». Le panneau indiquant l’entrée au Québec, la route ontarienne no 2 qui devient la québécoise 338, la cabane à hot-dog (dîner!) de Coteau-du-Lac où ça parle français, la piste cyclable du canal Vaudreuil-Soulanges... Impossible cette fois de se laisser gagner par le découragement, puisque chaque nouvelle étape produit une poussée d’adrénaline!
Le Pont Taschereau vers Pincourt, le pont Galipeault qui fait entrer sur l’île de Montréal, à Sainte-Anne de Bellevue... Ce sont des territoires familiers, puisque j’y ai fait des allers-retours depuis chez moi, via le canal Lachine. Finalement, Toronto, ce n’est pas si loin : lorsqu’on se rend à vélo jusqu’à Sainte-Anne de Bellevue, il ne reste plus que 500 km! Une paille.
Pascal Lapointe, 29 décembre 2008
dimanche 18 mai 2008
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