Toronto, samedi matin. 6h45. Le Starbuck, coin Adelaide et Yonge. Centre-ville, à deux coins de rue de la gare. Muffin, café latte. Je regarde la rue Adelaide, qui s’étire vers l’Est: là-bas, au bout de cette rue... c’est Montréal!
La journée s’annonce belle, pas trop chaude et surtout, pas de pluie. Tous les astres sont alignés pour un parcours de (très) longue haleine : plat... et pratiquement jamais de vent de face!
N’empêche, 585 km... Et au moins 30 heures devant moi, peut-être 36... Mais voilà bien la pensée qu'il faut chasser de ma tête.
Car c’est ça, mon pire ennemi : ma tête. Jambes et fesses protesteront pendant le parcours, c'est prévisible. Mais elles protestent aussi pendant des parcours de 100 km. Suffit d’une pause, un peu de jus d’orange ou une barre tendre, et elles ont oublié pourquoi elles protestaient.
Mais la tête, elle, ne se laisse pas aussi facilement amadouer. Je ne suis parti que depuis 20 minutes, la tour du CN dans mon dos...
...le compteur franchit les 6 km... 1% du parcours, il en reste 99%, je... Non, pense à autre chose. Regarde ta feuille de parcours, qu’est-ce qu’elle dit? Dans environ 2 km, Lake Shore Boulevard, puis 1 km plus loin, Woodbine Avenue, à gauche.
Et ce n'est pas plus difficile que ça. C’est ainsi que, d’indication en indication, j'oublie Montréal et je me concentre sur Toronto.
Puis la banlieue de Toronto. Puis la banlieue de la banlieue de Toronto.
63 km avant de voir le premier champ! Pas mal plus étendue que Montréal, cette bourgade!
Autant de coins de rue et de feux de circulation, ça se paye sur l’horloge. A 10h 45, après Oshawa, pause sur le bord de la route et premiers calculs : 80 km en quatre heures. Ouch! Moi qui calculait que pour faire le parcours en 30 heures, il me faudrait respecter une moyenne de 20 km/h... pauses incluses!
Heureusement, ça devient aussitôt plus encourageant. Plus de bouches d’égouts à éviter, et d'indications à vérifier toutes les 5 minutes : à Oshawa, tourner à droite sur King Street – 8 km; King Street devient route 2 – sur 35 km. Simple!
Et le paysage s’améliore. C’est vert, de belles collines sur la gauche, parfois l’eau sur la droite.
12h30. Dîner à Port Hope, sympathique petite ville traversée par une rivière, qui rappelle les villages du Nord du Vermont —ce n’est pas un hasard, on est dans le territoire fondé par les Loyalistes dans les années 1780. Et voici venu le moment de faire plaisir à ma tête : pas juste une pause dans un parc, mais dans un vrai restaurant, avec un vrai siège... avec un dossier! Ça fait un bien fou, j’ai même le temps de lire le journal local...
Ce cycliste-ci, dans son parcours plus long (620 km contre mes « pauvres » 585), est arrivé à Port Hope par des pistes cyclables, qui longent plus souvent le lac Ontario mais ne sont pas toujours pavées (et diminueraient la moyenne des cyclistes pressés!). Il en est reparti, comme moi, par la route numéro 2 qui, à partir d’ici, longe le lac Ontario pendant au moins 50 km. C'est le plus beau segment depuis Toronto. Port Hope, Cobourg, Colborne, Brighton... Puis un petit crochet à l’intérieur des terres pour traverser un pont à Trenton.
C'est justement avant Trenton que commence le gros écart entre mon parcours et celui de mon homologue (sur cette carte, le mien est en bleu, les repères désignent le sien). À partir d’ici, je resterai sur la route 2, jusqu’à Kingston, objectif pour la soirée. Mon homologue est par contre resté plus près du lac Ontario, ce qui lui a ajouté une trentaine de kilomètres, mais lui a permis de profiter de meilleurs paysages, et de routes moins achalandées. À recommander.
Ceci dit, le parcours en ligne droite a du bon : vers 17h, alors que j’ai dépassé la barre des 200 km et que mes indications sont vagues depuis un bout de temps (« continuer de suivre HGWY-2 – 56 km »), un panneau m’apprend que je suis à Belleville. Ça donne le goût de s’arrêter pour sortir la carte de sa sacoche. Wow! Je suis rendu aussi loin? Ça, c’est de l'encouragement!
Dès la sortie de Belleville, les panneaux commencent à annoncer Kingston : le souper! De Marysville à Napanee (13 km), route locale no 24, plutôt tranquille. Mais après Napanee, retour sur la 2, et du coup, je ramasse toute la circulation locale vers Kingston. Et pas d’accotement. Pendant 33 km. Je suis arrivé dans la zone urbaine de Kingston (lampadaires!) alors que l’obscurité était presque tombée. Le pire tronçon du voyage.
Alternative? À Napanee, plutôt que de continuer sur la route 2, j’aurais pu prendre la route 8 vers le Sud, jusqu’à ce qu’elle rejoigne la route 33, qui longe le lac. J’aurais croisé, arrivé au lac, le parcours de l’autre cycliste. Ca aurait voulu dire un détour d’une douzaine de kilomètres.
Mais tout à coup, je n'ai plus du tout le goût de me plaindre. Il est 21h30, et je suis au centre-ville de Kingston. Presque la moitié du parcours est derrière moi —et c’était la partie la plus difficile! De l’autre côté de la rivière Cataraqui, la carte de l’Ontario annonce un parcours cyclable ou une piste cyclable, sans interruption, jusqu’au Québec. Pendant un instant, j’ai l’impression d’être presque rendu!
dimanche 18 mai 2008
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