Pour dépasser ses limites. Pour se prouver qu’on est capable de les dépasser. Et ce faisant, mieux se connaître.
Pour éprouver la joie de rouler de nuit. Pour éprouver la joie d’un parcours d’endurance... mais sans côtes!
Parce qu’on n’ose pas dépasser des frontières imaginaires et des lignes invisibles.
Parce que Toronto était là, au bout de la route
dimanche 18 mai 2008
Toronto-Montréal... d'un coup! (2e moitié)
Samedi soir, 22h30. Seize heures plus tôt, j’étais dans un Starbuck, au centre-ville de Toronto (voir le billet suivant). Cette fois, je suis dans un Tim Horton, au centre-ville de Kingston. 267 km au compteur. Après une bonne pizza à un coin de rue d’ici, j’ai décidé de faire un deuxième arrêt, pour me bombarder d’un café Moka... géant! Que j’emporte avec moi. Ce n’est pas que je sente la fatigue, l'arrivée à Kingston a eu un effet dynamite! Mais je suis réaliste : il y a une longue nuit devant, et je doute trouver grand-chose d’ouvert d’ici demain matin...
Tant qu’on est à Kingston, pas de raisons de se hâter : quiconque ferait un trajet aussi long d’une seule « shot », serait d’accord avec l’idée d'en profiter pour relaxer. Une demi-heure de plus, assis bien au chaud, aidera à retarder l’inévitable coup de barre.
C’est un départ! À moins d’un kilomètre de là, traversée du pont LaSalle Causeway, sur la rivière Cataraqui puis, 28 km jusqu’à la première étape, Gananoque. Aussitôt après avoir quitté le pont, une inquiétude : même avec ma lampe frontale, je ne vois pas très loin. Et s’il y avait des crevasses dans l’asphalte? Et puis, rapidement, les yeux s’habituent —on apprend étonnamment vite à départager les différents types d’ombres— et la tête reprend le dessus : des crevasses dans l’asphalte? Hey, t’es pas au Québec, ici!
À la sortie de Gananoque, il faut quitter la route 2 pour prendre la « 1000 Islands Parkway » : une route panoramique de 37 kilomètres qui longe le lac Ontario. Méfiez-vous, ça n’a pas l’air invitant quand on y entre en pleine nuit : jusqu’à ce que, 500 mètres plus loin, on distingue vaguement, à droite, les bâtiments d’accueil (fermés, quelle surprise) puis la piste cyclable (du côté gauche de la route).
1000 Islands Parkway : un parcours magnifique en pleine nuit, j’ose à peine imaginer ce que ça doit être en plein jour!
L’autre avantage, c’est que deux heures plus tard, de retour sur la route 2, tout le monde est couché! Plus besoin de se préoccuper de surveiller l’accotement, toute la route est à vous. Même si une voiture arrive, vous l’entendez de très loin!
C’est ainsi que je traverse les villages au galop : Brockville, Prescott, Johnstown, Cardinal, m’étonnant moi-même d’avoir autant d’énergie. Jusqu’à ce que je redoutais arrive : le coup de barre. Le VRAI : la tête qui descend vers la poitrine, les yeux qui se ferment une demi-seconde... La première fois, je refuse d’y croire : je suis en train de pédaler, penché sur un vélo, impossible de s’endormir! Et pourtant, oui, c'est possible. Je m’arrête donc sur le bord de la route.
Dilemme. Il y a des bungalows autour, pas vraiment l’endroit pour s’étendre sur le gazon sans attirer les soupçons. Mon Moka est depuis longtemps épuisé. En plus, il commence à faire froid: alors que le ciel commence à rosir, c’est le pire moment de la journée, où tout ce qui restait de la chaleur de la veille s’est dissipé.
Après quelques minutes à m’ébrouer, je repars, et heureusement, la ville suivante n’est pas loin. Iroquois. Un petit centre commercial, un resto... encore fermé, il n’est que 5 h 30! Je devine un parc, plus bas : bingo! Je m’assieds à une table à pique-nique, m’appuie la tête sur la main... en deux secondes, je suis parti!
Je suis sûr de n’avoir dormi que quelques minutes —il y avait une personne qui promenait son chien le long du fleuve, à l’horizon, elle y est toujours quand je rouvre les yeux. Mais curieusement, je me sens ragaillardi. Pas le moment des questions existentielles : Go!, car ce que j’espérais n’est plus très loin : après 10 km, voici un mini-Boulevard Taschereau. C’est Morrisburg... et son MacDo. Eh oui, je le confesse, j’ai mis les pieds dans un MacDo.
Morrisburg est pour les cyclistes montréalais qui se rendent en voiture à Cornwall, le point extrême à atteindre à vélo avant de rebrousser chemin. Ayant déjà fait ce parcours, je préfère cette fois éviter le détour —magnifique, pourtant— du parc des « Milles Roches » et foncer en ligne droite sur la route 2, jusqu’à Cornwall. Et une fois à Cornwall, même fierté que la veille à Kingston : 445 km au compteur, Wow! La dernière grande ville avant Montréal. Pendant un instant, j’ai l’impression d’être presque rendu.
Impression trompeuse, qui me conduit à contourner Cornwall plutôt que de passer par son centre-ville : après tout, j’ai déjà déjeuné, non? Grosse erreur : le déjeuner était peu consistant, et il est déjà loin. Je m’arrête dans un parc, et pour la première fois en plus de 27 heures, la fatigue me tombe dessus comme une tonne de briques.
Tous les cyclistes connaissent ça, c’est le moment où tout semble virer au noir. Je n’ai presque plus d’eau, donc c’est catastrophique. Le soleil est soudain plus chaud, donc c’est insupportable. Il me reste 130 km, donc c’est épouvantable.
Quelques kilomètres plus loin, juste avant de prendre la route de service Sud qui longera l’autoroute 401 jusqu’au Québec, je suis sauvé par un dépanneur. Grosse bouteille d’eau, palette de chocolat... Les batteries sont rechargées!
Le reste relève de la petite bière : chaque étape devient prétexte à se répéter : « je l’ai fait ». Le panneau indiquant l’entrée au Québec, la route ontarienne no 2 qui devient la québécoise 338, la cabane à hot-dog (dîner!) de Coteau-du-Lac où ça parle français, la piste cyclable du canal Vaudreuil-Soulanges... Impossible cette fois de se laisser gagner par le découragement, puisque chaque nouvelle étape produit une poussée d’adrénaline!
Le Pont Taschereau vers Pincourt, le pont Galipeault qui fait entrer sur l’île de Montréal, à Sainte-Anne de Bellevue... Ce sont des territoires familiers, puisque j’y ai fait des allers-retours depuis chez moi, via le canal Lachine. Finalement, Toronto, ce n’est pas si loin : lorsqu’on se rend à vélo jusqu’à Sainte-Anne de Bellevue, il ne reste plus que 500 km! Une paille.
Pascal Lapointe, 29 décembre 2008
Tant qu’on est à Kingston, pas de raisons de se hâter : quiconque ferait un trajet aussi long d’une seule « shot », serait d’accord avec l’idée d'en profiter pour relaxer. Une demi-heure de plus, assis bien au chaud, aidera à retarder l’inévitable coup de barre.
C’est un départ! À moins d’un kilomètre de là, traversée du pont LaSalle Causeway, sur la rivière Cataraqui puis, 28 km jusqu’à la première étape, Gananoque. Aussitôt après avoir quitté le pont, une inquiétude : même avec ma lampe frontale, je ne vois pas très loin. Et s’il y avait des crevasses dans l’asphalte? Et puis, rapidement, les yeux s’habituent —on apprend étonnamment vite à départager les différents types d’ombres— et la tête reprend le dessus : des crevasses dans l’asphalte? Hey, t’es pas au Québec, ici!
À la sortie de Gananoque, il faut quitter la route 2 pour prendre la « 1000 Islands Parkway » : une route panoramique de 37 kilomètres qui longe le lac Ontario. Méfiez-vous, ça n’a pas l’air invitant quand on y entre en pleine nuit : jusqu’à ce que, 500 mètres plus loin, on distingue vaguement, à droite, les bâtiments d’accueil (fermés, quelle surprise) puis la piste cyclable (du côté gauche de la route).
1000 Islands Parkway : un parcours magnifique en pleine nuit, j’ose à peine imaginer ce que ça doit être en plein jour!
L’autre avantage, c’est que deux heures plus tard, de retour sur la route 2, tout le monde est couché! Plus besoin de se préoccuper de surveiller l’accotement, toute la route est à vous. Même si une voiture arrive, vous l’entendez de très loin!
C’est ainsi que je traverse les villages au galop : Brockville, Prescott, Johnstown, Cardinal, m’étonnant moi-même d’avoir autant d’énergie. Jusqu’à ce que je redoutais arrive : le coup de barre. Le VRAI : la tête qui descend vers la poitrine, les yeux qui se ferment une demi-seconde... La première fois, je refuse d’y croire : je suis en train de pédaler, penché sur un vélo, impossible de s’endormir! Et pourtant, oui, c'est possible. Je m’arrête donc sur le bord de la route.
Dilemme. Il y a des bungalows autour, pas vraiment l’endroit pour s’étendre sur le gazon sans attirer les soupçons. Mon Moka est depuis longtemps épuisé. En plus, il commence à faire froid: alors que le ciel commence à rosir, c’est le pire moment de la journée, où tout ce qui restait de la chaleur de la veille s’est dissipé.
Après quelques minutes à m’ébrouer, je repars, et heureusement, la ville suivante n’est pas loin. Iroquois. Un petit centre commercial, un resto... encore fermé, il n’est que 5 h 30! Je devine un parc, plus bas : bingo! Je m’assieds à une table à pique-nique, m’appuie la tête sur la main... en deux secondes, je suis parti!
Je suis sûr de n’avoir dormi que quelques minutes —il y avait une personne qui promenait son chien le long du fleuve, à l’horizon, elle y est toujours quand je rouvre les yeux. Mais curieusement, je me sens ragaillardi. Pas le moment des questions existentielles : Go!, car ce que j’espérais n’est plus très loin : après 10 km, voici un mini-Boulevard Taschereau. C’est Morrisburg... et son MacDo. Eh oui, je le confesse, j’ai mis les pieds dans un MacDo.
Morrisburg est pour les cyclistes montréalais qui se rendent en voiture à Cornwall, le point extrême à atteindre à vélo avant de rebrousser chemin. Ayant déjà fait ce parcours, je préfère cette fois éviter le détour —magnifique, pourtant— du parc des « Milles Roches » et foncer en ligne droite sur la route 2, jusqu’à Cornwall. Et une fois à Cornwall, même fierté que la veille à Kingston : 445 km au compteur, Wow! La dernière grande ville avant Montréal. Pendant un instant, j’ai l’impression d’être presque rendu.
Impression trompeuse, qui me conduit à contourner Cornwall plutôt que de passer par son centre-ville : après tout, j’ai déjà déjeuné, non? Grosse erreur : le déjeuner était peu consistant, et il est déjà loin. Je m’arrête dans un parc, et pour la première fois en plus de 27 heures, la fatigue me tombe dessus comme une tonne de briques.
Tous les cyclistes connaissent ça, c’est le moment où tout semble virer au noir. Je n’ai presque plus d’eau, donc c’est catastrophique. Le soleil est soudain plus chaud, donc c’est insupportable. Il me reste 130 km, donc c’est épouvantable.
Quelques kilomètres plus loin, juste avant de prendre la route de service Sud qui longera l’autoroute 401 jusqu’au Québec, je suis sauvé par un dépanneur. Grosse bouteille d’eau, palette de chocolat... Les batteries sont rechargées!
Le reste relève de la petite bière : chaque étape devient prétexte à se répéter : « je l’ai fait ». Le panneau indiquant l’entrée au Québec, la route ontarienne no 2 qui devient la québécoise 338, la cabane à hot-dog (dîner!) de Coteau-du-Lac où ça parle français, la piste cyclable du canal Vaudreuil-Soulanges... Impossible cette fois de se laisser gagner par le découragement, puisque chaque nouvelle étape produit une poussée d’adrénaline!
Le Pont Taschereau vers Pincourt, le pont Galipeault qui fait entrer sur l’île de Montréal, à Sainte-Anne de Bellevue... Ce sont des territoires familiers, puisque j’y ai fait des allers-retours depuis chez moi, via le canal Lachine. Finalement, Toronto, ce n’est pas si loin : lorsqu’on se rend à vélo jusqu’à Sainte-Anne de Bellevue, il ne reste plus que 500 km! Une paille.
Pascal Lapointe, 29 décembre 2008
Toronto-Montréal... d'un coup! (17 premières heures)
Toronto, samedi matin. 6h45. Le Starbuck, coin Adelaide et Yonge. Centre-ville, à deux coins de rue de la gare. Muffin, café latte. Je regarde la rue Adelaide, qui s’étire vers l’Est: là-bas, au bout de cette rue... c’est Montréal!
La journée s’annonce belle, pas trop chaude et surtout, pas de pluie. Tous les astres sont alignés pour un parcours de (très) longue haleine : plat... et pratiquement jamais de vent de face!
N’empêche, 585 km... Et au moins 30 heures devant moi, peut-être 36... Mais voilà bien la pensée qu'il faut chasser de ma tête.
Car c’est ça, mon pire ennemi : ma tête. Jambes et fesses protesteront pendant le parcours, c'est prévisible. Mais elles protestent aussi pendant des parcours de 100 km. Suffit d’une pause, un peu de jus d’orange ou une barre tendre, et elles ont oublié pourquoi elles protestaient.
Mais la tête, elle, ne se laisse pas aussi facilement amadouer. Je ne suis parti que depuis 20 minutes, la tour du CN dans mon dos...
...le compteur franchit les 6 km... 1% du parcours, il en reste 99%, je... Non, pense à autre chose. Regarde ta feuille de parcours, qu’est-ce qu’elle dit? Dans environ 2 km, Lake Shore Boulevard, puis 1 km plus loin, Woodbine Avenue, à gauche.
Et ce n'est pas plus difficile que ça. C’est ainsi que, d’indication en indication, j'oublie Montréal et je me concentre sur Toronto.
Puis la banlieue de Toronto. Puis la banlieue de la banlieue de Toronto.
63 km avant de voir le premier champ! Pas mal plus étendue que Montréal, cette bourgade!
Autant de coins de rue et de feux de circulation, ça se paye sur l’horloge. A 10h 45, après Oshawa, pause sur le bord de la route et premiers calculs : 80 km en quatre heures. Ouch! Moi qui calculait que pour faire le parcours en 30 heures, il me faudrait respecter une moyenne de 20 km/h... pauses incluses!
Heureusement, ça devient aussitôt plus encourageant. Plus de bouches d’égouts à éviter, et d'indications à vérifier toutes les 5 minutes : à Oshawa, tourner à droite sur King Street – 8 km; King Street devient route 2 – sur 35 km. Simple!
Et le paysage s’améliore. C’est vert, de belles collines sur la gauche, parfois l’eau sur la droite.
12h30. Dîner à Port Hope, sympathique petite ville traversée par une rivière, qui rappelle les villages du Nord du Vermont —ce n’est pas un hasard, on est dans le territoire fondé par les Loyalistes dans les années 1780. Et voici venu le moment de faire plaisir à ma tête : pas juste une pause dans un parc, mais dans un vrai restaurant, avec un vrai siège... avec un dossier! Ça fait un bien fou, j’ai même le temps de lire le journal local...
Ce cycliste-ci, dans son parcours plus long (620 km contre mes « pauvres » 585), est arrivé à Port Hope par des pistes cyclables, qui longent plus souvent le lac Ontario mais ne sont pas toujours pavées (et diminueraient la moyenne des cyclistes pressés!). Il en est reparti, comme moi, par la route numéro 2 qui, à partir d’ici, longe le lac Ontario pendant au moins 50 km. C'est le plus beau segment depuis Toronto. Port Hope, Cobourg, Colborne, Brighton... Puis un petit crochet à l’intérieur des terres pour traverser un pont à Trenton.
C'est justement avant Trenton que commence le gros écart entre mon parcours et celui de mon homologue (sur cette carte, le mien est en bleu, les repères désignent le sien). À partir d’ici, je resterai sur la route 2, jusqu’à Kingston, objectif pour la soirée. Mon homologue est par contre resté plus près du lac Ontario, ce qui lui a ajouté une trentaine de kilomètres, mais lui a permis de profiter de meilleurs paysages, et de routes moins achalandées. À recommander.
Ceci dit, le parcours en ligne droite a du bon : vers 17h, alors que j’ai dépassé la barre des 200 km et que mes indications sont vagues depuis un bout de temps (« continuer de suivre HGWY-2 – 56 km »), un panneau m’apprend que je suis à Belleville. Ça donne le goût de s’arrêter pour sortir la carte de sa sacoche. Wow! Je suis rendu aussi loin? Ça, c’est de l'encouragement!
Dès la sortie de Belleville, les panneaux commencent à annoncer Kingston : le souper! De Marysville à Napanee (13 km), route locale no 24, plutôt tranquille. Mais après Napanee, retour sur la 2, et du coup, je ramasse toute la circulation locale vers Kingston. Et pas d’accotement. Pendant 33 km. Je suis arrivé dans la zone urbaine de Kingston (lampadaires!) alors que l’obscurité était presque tombée. Le pire tronçon du voyage.
Alternative? À Napanee, plutôt que de continuer sur la route 2, j’aurais pu prendre la route 8 vers le Sud, jusqu’à ce qu’elle rejoigne la route 33, qui longe le lac. J’aurais croisé, arrivé au lac, le parcours de l’autre cycliste. Ca aurait voulu dire un détour d’une douzaine de kilomètres.
Mais tout à coup, je n'ai plus du tout le goût de me plaindre. Il est 21h30, et je suis au centre-ville de Kingston. Presque la moitié du parcours est derrière moi —et c’était la partie la plus difficile! De l’autre côté de la rivière Cataraqui, la carte de l’Ontario annonce un parcours cyclable ou une piste cyclable, sans interruption, jusqu’au Québec. Pendant un instant, j’ai l’impression d’être presque rendu!
La journée s’annonce belle, pas trop chaude et surtout, pas de pluie. Tous les astres sont alignés pour un parcours de (très) longue haleine : plat... et pratiquement jamais de vent de face!
N’empêche, 585 km... Et au moins 30 heures devant moi, peut-être 36... Mais voilà bien la pensée qu'il faut chasser de ma tête.
Car c’est ça, mon pire ennemi : ma tête. Jambes et fesses protesteront pendant le parcours, c'est prévisible. Mais elles protestent aussi pendant des parcours de 100 km. Suffit d’une pause, un peu de jus d’orange ou une barre tendre, et elles ont oublié pourquoi elles protestaient.
Mais la tête, elle, ne se laisse pas aussi facilement amadouer. Je ne suis parti que depuis 20 minutes, la tour du CN dans mon dos...
...le compteur franchit les 6 km... 1% du parcours, il en reste 99%, je... Non, pense à autre chose. Regarde ta feuille de parcours, qu’est-ce qu’elle dit? Dans environ 2 km, Lake Shore Boulevard, puis 1 km plus loin, Woodbine Avenue, à gauche.
Et ce n'est pas plus difficile que ça. C’est ainsi que, d’indication en indication, j'oublie Montréal et je me concentre sur Toronto.
Puis la banlieue de Toronto. Puis la banlieue de la banlieue de Toronto.
63 km avant de voir le premier champ! Pas mal plus étendue que Montréal, cette bourgade!
Autant de coins de rue et de feux de circulation, ça se paye sur l’horloge. A 10h 45, après Oshawa, pause sur le bord de la route et premiers calculs : 80 km en quatre heures. Ouch! Moi qui calculait que pour faire le parcours en 30 heures, il me faudrait respecter une moyenne de 20 km/h... pauses incluses!
Heureusement, ça devient aussitôt plus encourageant. Plus de bouches d’égouts à éviter, et d'indications à vérifier toutes les 5 minutes : à Oshawa, tourner à droite sur King Street – 8 km; King Street devient route 2 – sur 35 km. Simple!
Et le paysage s’améliore. C’est vert, de belles collines sur la gauche, parfois l’eau sur la droite.
12h30. Dîner à Port Hope, sympathique petite ville traversée par une rivière, qui rappelle les villages du Nord du Vermont —ce n’est pas un hasard, on est dans le territoire fondé par les Loyalistes dans les années 1780. Et voici venu le moment de faire plaisir à ma tête : pas juste une pause dans un parc, mais dans un vrai restaurant, avec un vrai siège... avec un dossier! Ça fait un bien fou, j’ai même le temps de lire le journal local...
Ce cycliste-ci, dans son parcours plus long (620 km contre mes « pauvres » 585), est arrivé à Port Hope par des pistes cyclables, qui longent plus souvent le lac Ontario mais ne sont pas toujours pavées (et diminueraient la moyenne des cyclistes pressés!). Il en est reparti, comme moi, par la route numéro 2 qui, à partir d’ici, longe le lac Ontario pendant au moins 50 km. C'est le plus beau segment depuis Toronto. Port Hope, Cobourg, Colborne, Brighton... Puis un petit crochet à l’intérieur des terres pour traverser un pont à Trenton.
C'est justement avant Trenton que commence le gros écart entre mon parcours et celui de mon homologue (sur cette carte, le mien est en bleu, les repères désignent le sien). À partir d’ici, je resterai sur la route 2, jusqu’à Kingston, objectif pour la soirée. Mon homologue est par contre resté plus près du lac Ontario, ce qui lui a ajouté une trentaine de kilomètres, mais lui a permis de profiter de meilleurs paysages, et de routes moins achalandées. À recommander.
Ceci dit, le parcours en ligne droite a du bon : vers 17h, alors que j’ai dépassé la barre des 200 km et que mes indications sont vagues depuis un bout de temps (« continuer de suivre HGWY-2 – 56 km »), un panneau m’apprend que je suis à Belleville. Ça donne le goût de s’arrêter pour sortir la carte de sa sacoche. Wow! Je suis rendu aussi loin? Ça, c’est de l'encouragement!
Dès la sortie de Belleville, les panneaux commencent à annoncer Kingston : le souper! De Marysville à Napanee (13 km), route locale no 24, plutôt tranquille. Mais après Napanee, retour sur la 2, et du coup, je ramasse toute la circulation locale vers Kingston. Et pas d’accotement. Pendant 33 km. Je suis arrivé dans la zone urbaine de Kingston (lampadaires!) alors que l’obscurité était presque tombée. Le pire tronçon du voyage.
Alternative? À Napanee, plutôt que de continuer sur la route 2, j’aurais pu prendre la route 8 vers le Sud, jusqu’à ce qu’elle rejoigne la route 33, qui longe le lac. J’aurais croisé, arrivé au lac, le parcours de l’autre cycliste. Ca aurait voulu dire un détour d’une douzaine de kilomètres.
Mais tout à coup, je n'ai plus du tout le goût de me plaindre. Il est 21h30, et je suis au centre-ville de Kingston. Presque la moitié du parcours est derrière moi —et c’était la partie la plus difficile! De l’autre côté de la rivière Cataraqui, la carte de l’Ontario annonce un parcours cyclable ou une piste cyclable, sans interruption, jusqu’au Québec. Pendant un instant, j’ai l’impression d’être presque rendu!
Toronto-Montréal d'un coup: les erreurs à ne pas commettre
1) Parmi les trains Montréal-Toronto, seul celui du matin permet de transporter son vélo. À considérer si vous voulez arriver tôt et profiter d’une bonne nuit de sommeil...
2) Au départ de Kingston, indispensable : un café à emporter! Même froid, il vous aidera à passer la nuit. Si, par la suite, vous trouvez un dépanneur ouvert pendant la nuit, peut-être qu’un café supplémentaire serait de mise. À vous de voir.
3) N’essayez pas de combattre le sommeil. Quand ça arrive, et ça arrivera, arrêtez-vous. La preuve est faite : on peut vraiment s’endormir à vélo!
4) Au matin du 2e jour, même si vous ne sentez pas votre faim —le café peut masquer la faim— prenez un bon déjeuner. Encore que le plus important sera peut-être l'impact psychologique... d'être assis sur une chaise avec un dossier!
2) Au départ de Kingston, indispensable : un café à emporter! Même froid, il vous aidera à passer la nuit. Si, par la suite, vous trouvez un dépanneur ouvert pendant la nuit, peut-être qu’un café supplémentaire serait de mise. À vous de voir.
3) N’essayez pas de combattre le sommeil. Quand ça arrive, et ça arrivera, arrêtez-vous. La preuve est faite : on peut vraiment s’endormir à vélo!
4) Au matin du 2e jour, même si vous ne sentez pas votre faim —le café peut masquer la faim— prenez un bon déjeuner. Encore que le plus important sera peut-être l'impact psychologique... d'être assis sur une chaise avec un dossier!
Toronto-Montréal d'un coup: FAQ
Faut-il être super-entraîné?
Non. La première fois que j’ai fait 100 km en une journée, j’ètais convaincu d’avoir atteint mes limites : j’étais fatigué, j’avais mal aux fesses et je ne voyais pas comment j’aurais humainement pu faire 20 km de plus.
Et puis, dans les années qui ont suivi, j’ai fait 125, puis 150, puis 200 km. Au début, par accident : quand vous n’êtes plus qu’à 20 km de chez vous, vous vous sentez ridicule de vous arrêter, même si vous avez déjà 100 km dans le corps! Et ensuite, en rationalisant : coudonc, même après 50 km, je suis fatigué, et pourtant, je ne rend pas les armes. Je fais une pause et c’est tout. Pourquoi ce serait différent à 100 ou 150?
En fait, deux petites choses sont nécessaires pour réussir un parcours de longue haleine :
1) aimer le vélo, évidemment et
2) la psychologie: c'est dans la tête que ça se passe!
Faut-il un super-vélo?
Non. Ce parcours a été fait sur un banal vélo hybride à 300$.
Faut-il une résistance au sommeil?
Non. 35 heures veut dire une nuit blanche, et vous allez inévitablement avoir un coup de barre, à un moment donné. Quand ça arrive, on s’arrête, on s’assoupit quelques minutes et surprise! C’est comme si la fatigue s’était dissipée.
Le café aide aussi...
Faut-il craindre les automobilistes la nuit?
Pas plus que le jour. Des cyclistes se font hélas renverser en plein jour. La nuit, si vous êtes bien éclairé, vous allez encore plus vous « détacher du décor » que le jour. Et statistiquement, la chance est de votre côté : il y a beaucoup moins d’automobilistes! En fait, au milieu de la nuit, après le détour par la route panoramique, il n’y a pour ainsi dire plus du tout de circulation.
Autre chose : sur la deuxième moitié du trajet —de Kingston jusqu’à la frontière québécoise— il y a une bande cyclable ou une piste cyclable ininterrompue, pendant plus de 200 km.
Quel parcours suivre?
Ce cycliste propose un parcours de 620 km. Balisage impeccable.
J’ai voulu réduire un peu la distance avec Google Maps : choisissez « itinéraire sans autoroute », et déplacez ensuite, sur la carte, la ligne bleue pour la rendre la plus rectiligne possible. Avantage : « seulement » 584 km. Désavantage : les 100 km avant Kingston sont beaucoup moins beaux. La prochaine fois, je le saurai. :-)
GPS : je suppose que désormais, tous les cyclistes qui feront un tel parcours auront un GPS. Extra! Mais méfiez-vous tout de même... La tentation est grande de s’arrêter toutes les demi-heures pour regarder où on est rendu... alors que le parcours accroché au guidon prend si peu de temps à regarder!
Non. La première fois que j’ai fait 100 km en une journée, j’ètais convaincu d’avoir atteint mes limites : j’étais fatigué, j’avais mal aux fesses et je ne voyais pas comment j’aurais humainement pu faire 20 km de plus.
Et puis, dans les années qui ont suivi, j’ai fait 125, puis 150, puis 200 km. Au début, par accident : quand vous n’êtes plus qu’à 20 km de chez vous, vous vous sentez ridicule de vous arrêter, même si vous avez déjà 100 km dans le corps! Et ensuite, en rationalisant : coudonc, même après 50 km, je suis fatigué, et pourtant, je ne rend pas les armes. Je fais une pause et c’est tout. Pourquoi ce serait différent à 100 ou 150?
En fait, deux petites choses sont nécessaires pour réussir un parcours de longue haleine :
1) aimer le vélo, évidemment et
2) la psychologie: c'est dans la tête que ça se passe!
Faut-il un super-vélo?
Non. Ce parcours a été fait sur un banal vélo hybride à 300$.
Faut-il une résistance au sommeil?
Non. 35 heures veut dire une nuit blanche, et vous allez inévitablement avoir un coup de barre, à un moment donné. Quand ça arrive, on s’arrête, on s’assoupit quelques minutes et surprise! C’est comme si la fatigue s’était dissipée.
Le café aide aussi...
Faut-il craindre les automobilistes la nuit?
Pas plus que le jour. Des cyclistes se font hélas renverser en plein jour. La nuit, si vous êtes bien éclairé, vous allez encore plus vous « détacher du décor » que le jour. Et statistiquement, la chance est de votre côté : il y a beaucoup moins d’automobilistes! En fait, au milieu de la nuit, après le détour par la route panoramique, il n’y a pour ainsi dire plus du tout de circulation.
Autre chose : sur la deuxième moitié du trajet —de Kingston jusqu’à la frontière québécoise— il y a une bande cyclable ou une piste cyclable ininterrompue, pendant plus de 200 km.
Quel parcours suivre?
Ce cycliste propose un parcours de 620 km. Balisage impeccable.
J’ai voulu réduire un peu la distance avec Google Maps : choisissez « itinéraire sans autoroute », et déplacez ensuite, sur la carte, la ligne bleue pour la rendre la plus rectiligne possible. Avantage : « seulement » 584 km. Désavantage : les 100 km avant Kingston sont beaucoup moins beaux. La prochaine fois, je le saurai. :-)
GPS : je suppose que désormais, tous les cyclistes qui feront un tel parcours auront un GPS. Extra! Mais méfiez-vous tout de même... La tentation est grande de s’arrêter toutes les demi-heures pour regarder où on est rendu... alors que le parcours accroché au guidon prend si peu de temps à regarder!
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